Un biscuit-aliment,
le biscuit de mer
Coll. A. P.-R.
Ce biscuit de très longue conservation, dense, très sec et extrêmement dur (1), est très nutritif sous son faible encombrement, nommé parfois biscotin. Que l’on ait désigné l’os de seiche par la métaphore de « biscuit de mer » suffit à traduire l’aspect cassant et plat de ce biscuit déshydraté, fait de farine de blé et non sucré. Lequel a été, de tous temps, le compagnon du marin auquel il était même recommandé d’en faire largement usage, compte tenu de sa valeur nutritive sous un faible volume. De fait, la farine de blé présentant plus de 10 % de protéines et de la vitamine B, ce biscuit était naguère l’aliment de choix des marins, d’où son surnom de « pain de mer » et d’où l’adage « il ne faut pas s’embarquer sans biscuit » (2). On faisait également provision de ce type de biscuit pour les longs périples et les grandes campagnes militaires (biscuit de guerre). Explorateurs et pionniers eurent aussi recours à ce biscuit, tel Roald Amundsen lors de son expédition dans l’Antarctique. Enfin, c’est à une sorte de biscuit de mer qu’avaient autrefois recours certaines populations défavorisées pour assurer leur alimentation. Á défaut de pouvoir cuire du pain de façon régulière, elles confectionnaient du biscuit (« deux fois cuit ») qu’elles conservaient plusieurs mois. De cet aliment de substitution les habitants de l’île grecque de Santorin, par exemple, firent longtemps consommation. Selon Jean Thévenot, au début du XVIIe siècle, « leur pain qu’ils appellent “ fchifes ” est un biscuit fait de moitié bled moitié orge ; noir comme la poix et si rude qu’on ne le peut presque avaler. Ils ne chauffent le four que deux fois l’an, auquel temps ils font ce biscuit qu’ils portent à la maison avec grande vénération. Peut-être font-ils cela à cause qu’ils n’ont aucunement de bois, car ils le font venir de Milo, ils l’achètent à la livre. » (Relation d’un voyage fait au Levant.) Ainsi conçu, le biscuit était, pour le moins, le symbole d’une vie rude…
Conservé dans des barils pendant des années, le biscuit était mis à gonfler dans de l’eau pour être consommé. Malgré les précautions prises lors de sa cuisson, il restait un produit fragile, très sensible à l’humidité — il devenait alors désagréable au goût —, ce qui explique que, de temps en temps, pour bien le conserver, on le faisait sécher sur le pont. En outre, les deux ennemis à redouter étaient, d’une part, le ver qui s’installait dans les biscuits, passé le délai de conservation, et, d’autre part, le cancrelat, dévastateur jusqu’à la dernière miette. Ce qui revenait, dans le premier cas, à s’accommoder de mauvais morceaux, habités par un «pensionnaire», et, dans le second, à périr de famine. On palliait à cet inconvénient en chauffant les biscuits au four pour tuer les insectes et leurs larves. Le capitaine James Cook et l’amiral Nelson furent de ceux qui incitèrent les fabricants à améliorer la qualité du biscuit pour le soustraire mieux encore aux dangers que constituaient l’humidité et les insectes.
En Italie, les biscuits de mer, très employés à partir du XVIIe siècle, sont appelés gallette. Au Canada, le biscuit du matelot avait aussi le nom de « galette » ; il pesait 6 onces et servait de repas complet. Au Québec, on appelle ce type de biscuit « biscuit de marin », voire «biscuit de pilote». Les Anglo-Saxons le nomment sea biscuit, sea bread, ship biscuit, pilot biscuit ou encore pilot bread. Pendant la guerre de Sécession américaine, l’armée de l’Union du Potomac le désigna sous l’appellation hardtack, qui ne tarda pas à se généraliser et être adoptée même dans le Royaume-Uni. On peut en voir des exemplaires anciens dans certains musées ; tel le Peabody Essex Museum, de Salem (Massachusetts) — un biscuit remonte au début du XIXe siècle. Au milieu du XIXe siècle, l’Australie se fit découvrir en Europe à travers ses biscuits de mer qui remportèrent des prix lors de grandes expositions (3). Aujourd’hui, à Sydney, les Anzac biscuits « descendent» des biscuits de guerre d’autrefois.
Un peu d’histoire
C’est le nauticus des Romains, que Plaute qualifiait de « trop cuit » (rubidus). Les boulangers cuisaient le pain deux fois afin de fournir en biscuits les légions. C’est le besquit du Moyen-Âge. En 1190, les bateaux de Richard Cœur de Lion auraient quitté l’Angleterre chargés de biskit of muslin, faits de farines d’orge, de seigle et de fève. L’empereur Frédéric II dénonce, dans une lettre de 1245, les inconvénients des voyages en mer, parmi lesquels « le pain cuit deux fois et indigeste ». Trois siècles plus tard, Christophe Colomb en embarqua à bord de ses caravelles pour subsister dans ses traversées vers le Nouveau-Monde : « Il laissa dans la forteresse de cette île Hispaniola, que les Indiens appelaient Bohio, trente-neuf hommes ainsi que plusieurs amis de ce roi Guacanagari et, pour les commander, comme ses lieutenants revêtus de tous les pouvoirs qu’il tenait des Rois, Diego de Araña, natif de Cordoue, Pedro Gutiérrez, […]. Il leur laissa toutes les marchandises que les Rois avaient fait acheter pour les échanges, et qui étaient en quantité, afin qu’ils en fissent le troc contre de l’or. Il leur laissa également tout ce qui était dans la nef : du pain de biscuit pour un an, du vin, beaucoup d’artillerie, et la chaloupe de la nef […]. » (4). Certes, la consommation de ce biscuit ne relevait pas de la gourmandise ; c’était un aliment de subsistance, voire de survie… Jean Bruyérin-Champier (5) définit, d’ailleurs, ainsi le biscoctus au XVIe siècle : « Le biscuit de mer […] est surtout utilisé par ceux qui ont été condamnés à souquer sur les galères. […] il est aussi utilisé dans les voyages au long cours par les marins et par les militaires postés sur les navires. Il faut bien dire, ma foi, que ces biscuits sont détestables, sauf lorsqu’on meurt de faim, ou lorsqu’on est obligé d’en manger faute de mieux. » En 1588, les marins de l’Invincible Armada se voyaient attribuer une livre de biscuits par jour — l’Espagne avait prévu un approvisionnement pour six mois et, au sein de celui-ci, onze millions de livres de biscuits de mer. Mais ce fut Samuel Pepys qui, le premier, fut chargé de définir le rationnement quotidien des troupes, lequel comportait, aux côtés de la bière et d’autres aliments, « une livre quotidienne de biscuits de froment, bons, propres, doux, sains, bien cuits et bien conditionnés ». Autre exemple : le ravitaillement des vaisseaux de guerre de la Compagnie hollandaise des Indes Orientales comportait du biscuit pour dix mois, soit 17 800 livres, la ration hebdomadaire étant de 4 livres (6).
En France, la fabrication des biscuits variait selon les ports. Ainsi, au XVIe siècle, le « biscuit à la façon de Honfleur » était-il réputé : il était cuit jusqu’à quatre fois par les boulangers locaux et conservé six mois au sec avant sa commercialisation (7). Les pêcheurs normands l’emportaient avec eux pour leurs voyages au long cours, ainsi que le signale Antoine de Conflans (8) en 1513. Sans doute cette fabrication était-elle favorisée par le fait que Honfleur pouvait s’approvisionner facilement en blé du pays de Caux ou de la plaine de Caen. À la fin du XVIIe siècle, le biscuit de mer se présentait sous la forme d’une galette ronde ou carrée, faite avec une demi-livre de farine de froment, pure et sans son, salée et cuite au moins deux fois, conformément à l’ordonnance de Colbert du 15 avril 1689 (9). Laquelle recommandait la qualité de l’eau dans sa confection, préconisait que les galettes fussent entières pour les ranger plus facilement et définissait aussi les lieux de stockage des vivres (10). Il s’agissait là essentiellement des soutes, que le capitaine devait garder « en bon état, chauffées, brayées et goudronnées ». Le séchage des soutes (fabriquées en bois vert) était très important pour la conservation, notamment, des biscuits, très sensibles à l’humidité. Toutefois il était permis de stocker les trop-pleins de biscuits dans la grand-chambre et dans les galeries autour des soutes. Le chancelier de Pontchartrain devait poursuivre la politique de Colbert en matière de marine, tout comme l’avait fait son prédécesseur, le marquis de Seignelay dans les années 1680. Il « obligea les munitionnaires à avoir toujours dans chaque port la quantité de vivres portée par son traité et à les remplacer à mesure, à ne point préparer le biscuit ailleurs que dans les ports, hors dans le tems de grands armemens où les magasins ne suffiraient point pour contenir tous les vivres. […] Il permit qu’il entrât du seigle dans le pain des équipages, mais non dans le biscuit. […] Il blâma très vivement un capitaine d’avoir fait débarquer de son autorité le biscuit qui lui avait été donné, sous prétexte qu’il n’était point de bonne qualité, et lui manda que ce n’était point à lui à juger, mais à l’intendant à qui il devait faire ses représentations […]. » (11) L’interdiction de faire entrer de la farine de seigle dans la fabrication du biscuit de mer devait être réaffirmée par le comte de Pontchartrain, qui, ayant pris en 1699 la suite de son père au ministère de la marine, ne manqua pas d’insister sur la « bonne qualité » requise pour cet aliment.
Dans son Dictionnaire universel (1690), Furetière définit le biscuit de mer comme un « pain fort desséché par une double cuisson, […] pour le garder longtemps, et particulièrement sur la mer » et précise que « le biscuit pour les voyages de long cours se cuit quatre fois, et on le fait six mois avant l’embarquement. » Cette explication est confirmée, un peu plus d’un demi-siècle plus tard, par l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : « c’est du pain qu’on cuit deux fois pour les petits voyages, & quatre fois pour les voyages de long cours, afin qu’il se conserve mieux. On le fait un mois avant l’embarquement ; & sur les vaisseaux du roi, il est de farine de froment épurée de son, & de pâte bien levée. […] Pour conserver le biscuit, il faut de tems en tems le faire sécher & lui faire prendre l’air. » Tout comme de par le passé, au XVIIIe siècle, le régime alimentaire à bord des navires de guerre comportait systématiquement des biscuits. Rien d’étonnant à ce que Nantes, ville portuaire ouverte sur l’Atlantique, se fût alors spécialisée dans l’industrie du biscuit. Les boulangers des quais et des ruelles environnant la Fosse confectionnaient des biscuits, certes secs et fades, mais nécessaires à tous ceux qui embarquaient. En 1785, l’Arsenal de Toulon se dota de huit fours doubles supplémentaires pour la boulangerie, afin de produire du biscuit de mer. Car il ne fallait pas qu’il fît défaut. Et les plus hautes autorités ne manquaient pas de s’en préoccuper. Ainsi, deux mois avant le désastre de Trafalgar, Napoléon Ier écrivit-il, le 22 août 1805, du camp de Boulogne, au vice-amiral Decrès : « Monsieur Decrès, expédiez le brick le Pandour à la Martinique pour y porter les nouvelles des divers événements qui ont eu lieu en Europe depuis le départ des escadres combinées. Vous donnerez au Pandour les ordres nécessaires pour faire connaître aux préfets maritimes et coloniaux de la Martinique et de la Guadeloupe le désir que j’ai qu’ils aient toujours prêtes 500,000 rations de biscuit, dans chacune de ces îles, pour pouvoir les verser à bord de celle de mes flottes que des opérations militaires ultérieures conduiront dans ces colonies. » (12) Un décret du 13 janvier 1806 en fixa la ration individuelle à 550 grammes.
Cependant, à l’encontre des recommandations stipulées en 1813 dans une Instruction pour les commis aux vivres embarquant, les cargaisons de biscuits laissaient trop souvent à désirer. En l’absence de conditionnements étanches, elles restaient exposées aux insectes et à l’humidité. Si, à la fin du XVIIIe siècle, le pharmacien militaire Antoine-Augustin Parmentier avait amélioré la technique de la fabrication du pain et du biscuit de mer — il fit adopter la forme carrée, plus propice à la mise en boîtes étanches, et réduisit le poids à 200 g par pièce —, le biscuit de mer demeurait presque aussi dur que la pierre et souvent infesté d’insectes. Il présentait un autre inconvénient d’importance : sa friabilité sous l’effet de l’humidité. Il se divisait alors en brisures dites machemoure. « On donne ce nom aux plus petits morceaux qui viennent du biscuit écrasé ou égrené. Lorsque les morceaux de biscuits sont de la grosseur d’une noisette, ils ne sont pas réputés machemoure, & les équipages doivent le recevoir comme faisant partie de leur ration, suivant l’ordonnance de 1689. », lit-on dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Définition que l’on retrouve chez Nicolas Aubin (13) : « C’est le menu débris d’un biscuit égrené et réduit en miettes. Par un règlement du Roi de France, il est ordonné que le morceau de biscuit qui sera aussi gros qu’une noisette ne sera pas réputé machemoure, et qu’il sera délivré à l’équipage avec le reste de leurs portions. » (14) Il est intéressant de noter à propos du machemoure que toutes les nations méditerranéennes le connaissaient, des Espagnols (mazamorra) aux Grecs (madzamoúra) ou aux Turcs (paçamura), ce qui confirme l’universalité du biscuit comme nourriture des marins méditerranéens.
Cette médiocre qualité du biscuit de mer devait perdurer. Était-il toujours soumis à une double cuisson ? Au milieu du XIXe siècle, Pierre-Marie-Joseph, baron de Bonnefoux, affirme le contraire : « il n’est pas cuit deux fois comme son nom semblerait l’indiquer, mais il reste au four plus longtemps que le pain ordinaire » (15). Quoi qu’il en fût réellement, aucune amélioration sensible ne se fit sentir dans ce type de produit au long de ce siècle, et ce en dépit des nouveaux moyens mécaniques employés pour sa fabrication. En effet, en décembre 1824, les autorités firent expertiser une qualité de biscuit plus aérée et plus digeste, dont la porosité accroissait pourtant les risques de moisissure des stocks. Ce souci de modifier la recette traditionnelle s’imposait, comme le souligne, en 1825, l’Inspecteur Général du service de santé, M. Keraudren : « en considérant cette substance sous le rapport alimentaire, on lui reproche avec fondement de n’offrir qu’un pain dur, mat, qui trempe difficilement et qui fatigue l’estomac par sa pesanteur. » En 1831, les Annales maritimes et coloniales font état d’une innovation remarquable : « Un appareil mu par la vapeur, à Portsmouth, et dirigé par M. Grant, fabrique 160,000 livres de biscuit de mer en vingt-quatre heures [..] La pâte est mieux pétrie et le pain plus salubre. La marine aura toujours du biscuit frais, parce que l’effet de la machine étant certain et régulier, on ne cuira plus qu’au moment où on aura besoin de pain. » Cette machine devança probablement le pétrin mécanique à vapeur de Marie-Joseph-Denis Farcot (1798-1875), présenté à l’Exposition de 1834 et réputé premier du genre. En 1835, l’Anglais John Rennie junior (1794-1874) [16] et son frère George firent expédier à Toulon, pour l’équipement du port, une machine comparable à celle de Portsmouth. D’après les documents qui nous sont parvenus (17), une machine à vapeur à basse pression de six chevaux permettait le fonctionnement d’un pétrin en fonte dans lequel la farine était déversée par un conduit ; la pâte, une fois pétrie, était disposée sur des plateaux mobiles en sapin, lesquels étaient ensuite acheminés sous des rouleaux de laminage ; animé d’un mouvement vertical, le coupe-pâte divisait automatiquement les portions. Mais la machine Rennie ne fut pas convaincante (voir la note plus bas)…
À l’occasion de l’Exposition Universelle de 1867, à Paris, un essai fut fait pour introduire 15 % de « farines cuites de légumineuses » dans la composition traditionnelle et obtenir ainsi un biscuit légèrement différent, qui autoriserait « un peu de variété dans la ration des équipages et des soldats en campagne » (18). Il n’en reste pas moins que, comme l’écrit le marquis de Salles en 1895, « Le biscuit était tantôt excellent et frais, tantôt vieux et détestable. Dans ce dernier cas, il fallait savoir le préparer avant de le manger. Les novices l’avalaient tel quel, comme une médecine ; les initiés s’en faisaient du bien. Ils commençaient par le tremper dans la marmite jusqu’à ce qu’il fût suffisamment humecté ; puis, à la pointe du couteau, ils le grillaient au feu comme s’ils avaient voulu confectionner des rôties. Alors, par les trous et les fissures, sortait une belle barbe verte plus ou moins touffue et plus ou moins longue. On la grattait avec soin, après quoi le biscuit était mangeable, bien que son goût ne pût donner en rien l’idée de ce que devait être jadis celui de l’ambroisie. » (19)
Au cours du dernier quart du XIXe siècle, la Marine française possédait cinq manutentions pour la fabrication du pain (20) et du biscuit, à Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Toulon (21). Au tout début du XXe siècle, la fabrication du biscuit de mer demeurait importante. Au moment de l’Exposition Universelle de 1900, Alfred Picard (21) constate : « Elle se fait aujourd’hui au moyen d’un outillage mécanique, dont les premières applications eurent lieu en Angleterre. La Pâte étant sans levain appelle un mode de pétrissage différent de celui de la pâte à pain ; elle doit avoir plus de consistance et peut être travaillée d’une façon continue. » La production de ce biscuit atteignait, en France, 1,2 à 1,3 millions de quintaux par an ! Les temps difficiles des deux guerres mondiales devaient ensuite en relancer la fabrication, surtout à Nantes où les usines furent réquisitionnées pour en assurer l’approvisionnement.
Aujourd’hui, de nombreux musées maritimes exposent des spécimens de biscuits de mer dans leur collection. Le National Maritime Museum, de Londres, en possède plusieurs exemplaires, dont un datant de 1784. Le Musée Maritime de Vancouver (Canada) en compte trois échantillons, dont l’un est vieux de près de 200 ans. « Le biscuit le plus vieux, partiellement mangé, est une relique de trois voyages dans l’Arctique, dont deux se sont presque soldés par une catastrophe. Mis en baril et embarqué à bord du HMS Fury, le biscuit a fait le voyage avec la troisième expédition de William Edward Parry, parti à la recherche du passage du nord ouest en mai 1824. Pris dans la glace et échoué sur les rives de l’île Somerset, le Fury a été complètement démonté par son équipage. Les provisions de bord et l’équipement, dissimulés sur la plage, furent laissés sur place lorsque Parry prit la fuite à bord de son seul autre navire, le HMS Hecla, alors surpeuplé, avant que la glace ne progresse davantage.
» Les fournitures laissées à “ Fury Beach ” permirent de sauver la vie des membres d’une autre expédition, dirigée par le capitaine John Ross. Coincés dans les glaces à bord de leur navire, le Victory, Ross, son neveu James Clark Ross et un équipage de 22 hommes marchèrent plus de 240 kilomètres à travers ce territoire désolé pour atteindre la cache du Fury. James Clark Ross fit don du biscuit à la collection du musée maritime. Une note, rédigée de sa main, explique qu’après le sauvetage de l’équipage du Victory en 1833, il porta sur lui ce biscuit comme porte bonheur au cours de ses autres voyages le long de la côte de l’Antarctique et, plus tard, lorsqu’il partit à la recherche de l’expédition perdue de Franklin. Un descendant du capitaine Ross donna ce biscuit voyageur au musée. » (Société d’histoire nationale du Canada.) [22]
Les sites de production
Au XIXe siècle, les fabricants les plus réputés étaient établis en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, au Danemark et en Grèce, notamment. Ce fut, sans conteste, en Angleterre que le produit prit la plus grande importance. Non négligeable aussi, la production espagnole fut remarquée du jury lors de l’Exposition Universelle Internationale de 1878, à Paris : « Le biscuit pour la marine et pour la troupe est confectionné avec d’excellentes farines ; il est bien cuit, vitreux à la cassure et d’un bel aspect extérieur. […] L’Espagne possède une administration militaire si bien organisée qu’elle pourrait servir de type à beaucoup de nations européennes, sans en excepter la France. La subsistance des troupes y est surtout l’objet d’une sollicitude très vive et très entendue, ainsi que nous avons pu nous en convaincre par la remarquable exposition du ministère de la guerre. » (23)
En France, la capitale du biscuit de mer était Nantes, dont la vocation maritime généra, au XVIIe siècle, plusieurs activités en rapport avec la nécessité d’approvisionner les équipages partant pour des expéditions au long cours. Ainsi, lors de la première exposition industrielle de Nantes, en 1825, le jury note que « ces biscuits sont appréciés depuis longtemps par le commerce de Nantes qui les embarque avec une confiance toujours soutenue ». C’est, d’ailleurs, de la confection des biscuits de mer qu’émergèrent les grandes biscuiteries industrielles LU (I886) et BN (I896). Mais, en fait, cette fabrication se retrouvait partout où la navigation était importante. Sous l’Empire, les biscuits de mer de Granville et du Havre étaient réputés. Si, au XIXe siècle, Nantes comptait trois fabricants de biscuits de mer, Bordeaux en comptait neuf, Paimbœuf six et Honfleur cinq. On en trouvait aussi à Saint-Servan, près de Saint-Malo, sur l’estuaire de la Rance, et à Eu (Seine-Maritime). Initialement artisanale, leur méthode de production ne cessa de s’améliorer au fil des temps, pour s’industrialiser enfin, avec l’introduction des pétrins mécaniques, des laminoirs, des appareils de découpe de la pâte, de fours très perfectionnés et de chaînes d’entraînement, toutes machines qui accrurent considérablement le rendement.
La cuisine au biscuit de mer
Pittoresque guide culinaire que celui écrit par un capitaine d’infanterie territoriale, E. Haeffelé, à l’intention des troupes en garnison, en manœuvre et en campagne, en 1892. On y apprend, en effet, qu’une partie de la ration journalière de biscuits de munition sert à la préparation de certains plats, se substituant à la farine pour les sauces, ragoûts et civets ou pour la confection d’une pâte pâtissière destinée à faire des pâtés de viande, servis froids. Tartes et puddings pour repas de gala trouvent aussi là l’un de leurs principaux ingrédients. La cuisine y gagne en saveur, semble-t-il, notamment le bœuf bouilli de conserve extrêmement employé et pour lequel le biscuit permet de varier les apprêts. Car, comme l’indique l’auteur, « l’utilisation du biscuit dans la cuisine remédie en partie aux déperditions de cette denrée, augmente la quantité et la qualité des mets, varie l’alimentation et améliore le bien-être du soldat, sans nécessiter aucune augmentation de dépense. »
Et pour qui souhaite aujourd’hui s’inspirer de ce « truc » culinaire, voici, telle qu’elle est donnée, la manière de préparer le biscuit pour pouvoir l’employer ensuite dans des mets : « Pilez le biscuit, tamisez-le au travers d’une passoire de cuisine dont les trous ont de quatre à cinq millimètres de diamètre, afin que les morceaux soient petits et réguliers, ou au travers d’un tamis. Mettez ce biscuit dans une terrine, versez par dessus de l’eau tiède à 30 degrés de chaleur environ (à raison de deux livres d’eau pour un kilogramme de biscuits). Laissez tremper pendant trois quarts d’heure, puis servez-vous en. » Mais attention, il s’agit là du biscuit du soldat et non du biscuit auquel la gourmandise nous a habitués...
Une anecdote relatée par le Marquis de Salles (24), qui combattit lors de la guerre de 1870, montre bien que pas une miette ne se perdait… « Un autre jour nous étions campés au milieu des champs. L’ordinaire paraissait devoir être maigre. Il ne restait plus de biscuits. Lorsqu'on eut retourné les musettes et gratté les poches, on en réunit, pour l’escouade, un petit tas de la grosseur des deux poings à peine. Le capitaine, envoyé à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent, reparut au bout d'une heure avec une carotte et deux ou trois pommes de terre.
» — Décidément, mes enfants, dit le caporal, il va falloir faire la soupe au caillou !
» Tout le monde connaît la soupe au caillou. C'est un symbole éclos dans l'imagination facétieuse de quelque troupier littérateur. Cela caractérise la soupe du soldat réduite à ses éléments les plus simples : l’eau, le sel, et le biscuit. Le caillou qu’on se garde bien d’y incorporer est censé remplacer la viande absente. » (25)
Enfin, dans cette même optique, il est intéressant de noter qu’en 1916, le « roi des cuisiniers et cuisinier des rois », Auguste Escoffier, proposa un bœuf bourguignon adapté à la rude existence dans les tranchées ; cette préparation « de guerre » employait une boîte de bœuf, du saindoux et du biscuit écrasé pour lier la sauce.
Le biscuit de guerre
Similaire au biscuit de mer, ce biscuit de longue conservation est destiné aux armées. On l’appelle aussi biscuit de troupe. Jean Bruyérin-Champier indique, en 1560, qu’« il est un pain très répandu chez les militaires, dont les variétés sont assez nombreuses. » Et de préciser : « Certains appellent ce genre de pain biscuit (buccelatum) : il fait partie des munitions militaires. En effet, on le fait cuire deux fois pour qu’il se conserve et risque moins de moisir. Certains estiment qu’il ne garde aucun ferment. » Jusqu’au xxesiècle, les biscuits « de guerre » furent généralement fabriqués au sein de la structure militaire. Ainsi lit-on dans le rapport de l’Exposition Universelle Internationale de 1878, à Paris : « dans un cas majeur, l’Administration de la guerre pourrait se servir utilement de l’industrie civile pour assurer la nourriture des troupes. Les biscuits fabriqués pendant le siège (26), dans la proportion de 16,000 kilogrammes par jour (12 heures), et dont quelques échantillons nous ont été soumis, étaient dans les meilleures conditions sous le double rapport de la fabrication et de la conservation. » À la fin du XIXe siècle, indépendamment du pain de troupe, ou pain de munition (27), les manutentions militaires, dont l’une des plus importantes, sise à Paris, quai de Billy, produisaient du biscuit de troupepour les réserves de guerre, biscuit similaire à celui utilisé par la marine militaire, sorte de galette plate de 13 centimètres de côté et de 23 à 25 millimètres d’épaisseur, percée de 36 trous, et qui se conservait pendant une année (28).
Un insolite biscuit de viande américain
Un certain Borden mit au point, au XIXe siècle, un méat-biscuit, destiné aux marins et aux soldats en campagne. Il en installa la fabrication à Galveston, au Texas. Et l’intérêt suscité par son produit fut immense, tant auprès des responsables de l’armée américaine qu’auprès de ses chirurgiens et médecins. Des témoignages venus d’Europe confirmèrent les précieuses qualités de ce biscuit de viande, fait de suc de viande de bœuf et de farine de froment.
Son premier atout : une incontestable insensibilité aux différences climatiques et, donc, une excellente conservation, d’une durée pouvant atteindre dix-huit mois. En deuxième lieu, des vertus nutritionnelles remarquables. Il « renferme », nous dit un article du Magasin Pittoresque de 1852, « autant de substance nutritive qu’un poids quintuple de bonne viande fraîche; […]. 125 grammes de cette nourriture par jour suffisent pour soutenir parfaitement un homme sans qu’il perde rien de sa force et de sa santé. Il en faut un tiers en sus pour un homme soumis à de très-grandes fatigues; […] En y ajoutant un peu de sel et de poivre, le biscuit de viande acquiert un degré de tonicité qui supplée, jusqu’à un certain point, à l’effet du thé ou du café pour les personnes qui ont l’habitude de ces aliments. » Cette concentration énergétique offrait en outre l’avantage d’alléger le chargement traditionnel des voyageurs ou des troupes. Comme l’affirmait alors un colonel des dragons américain, « Les provisions d’un régiment de cinq cents hommes en campagne pourraient donc se borner, pendant deux mois, et pour tout bagage, à la charge de trente à quarante mules. »
Enfin, la préparation était rapide. Mis à bouillir avec de l’eau, un peu de sel et de poivre, le biscuit en question constituait une soupe prête en dix minutes. Et pour varier l’accommodement susceptible de lasser, on pouvait l’apprêter en pudding ou l’associer à du riz ou des légumes (haricots, fèves, pois, etc.). C’était là une cuisine de campagne…
© A. Perrier-Robert
La machine Rennie
Les premiers essais de fabrication du biscuit avec cette machine, à Toulon, en mars 1836, montrèrent quelques faiblesses de fonctionnement. En dépit des perfectionnements techniques qu’on lui apporta, le pétrin des Rennie s’avéra d’une mise en œuvre difficile, et une lettre émanant de la direction des Ports consigne, le 9 décembre 1837 : « Mr le Baron Tupinier a remarqué que la machine à fabriquer du biscuit [..] est très-inférieure à celle actuellement en usage au port de Rochefort ; et il s’est convaincu que celle de Toulon pétrit mal la farine. » La même missive préconise l’interruption de la fabrication avec le pétrin Rennie, et souligne « le parti avantageux que l’on pourra tirer de cette mécanique, en y adaptant les moyens de pétrissage de celle de Rochefort, mue par deux chevaux, qui ne lui impriment qu’un mouvement inégal, tandis que celui de la vapeur obvierait à cet inconvénient et donnerait en dernière analyse les meilleurs résultats. »
Coll. A. P.-R.
Celui qui va en mer sans biscuits revient sans dents
Proverbe, France
Apres avoir au partir de Marseille,
Pris du Biscuit, & de l’eau mainte seille,
Dedans noz deux Galeres, bien munies
De gens de guerre, & de vivres fournies :
[…].
Bertrand de La Borderie
Le Discours du Voyage de Constantinople
Nous avons trouvé à fonds de cale des langues de bœuf salé et de bon vin. J’ai mangé du biscuit de l’équipage, que j’ai trouvé fort bon, et ai été fort aise de voir les poudres sous tant de clés.
Abbé de Choisy
Journal du voyage de Siam, 21 mai 1685
Il n’y avait pas plus de huit ou dix jours que nous étions à Batavia, lorsque les maladies commencèrent à s’y déclarer. […] J’accélérai, autant qu’il m’était possible, l’expédition de nos besoins; mais notre sabandar était aussi tombé malade et ne pouvant plus agir, nous essuyâmes des difficultés et des lenteurs. Ce ne fut que le 16 octobre que je pus être en état de sortir, et j’appareillai pour aller mouiller en dehors de la rade ; L’étoile ne devait avoir son biscuit que ce jour-là. Elle ne finit de l’embarquer qu’à la nuit, et dès que le vent le lui permit, elle vint mouiller auprès de nous.
Bougainville
Voyage autour du monde
Dès le temps de Louis le Débonnaire, ils commencèrent leurs courses. Les forêts, dont ces pays étaient hérissés, leur fournissaient assez de bois pour construire leurs barques à deux voiles et à rames. Environ cent hommes tenaient dans ces bâtiments, avec leurs provisions de bière, de biscuit de mer, de fromage, et de viande fumée. Ils côtoyaient les terres, descendaient où ils ne trouvaient point de résistance, et retournaient chez eux avec leur butin, qu’ils partageaient ensuite selon les lois du brigandage, ainsi qu’il se pratique en Barbarie.
Voltaire
Essai sur les mœurs
Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serrait une taille fine et dégagée ; l’air martial et doux. Il tenait dans sa main une petite bouteille d’eau des Barbades, et dans l’autre une espèce de bourse dans laquelle était un gobelet et de très bon biscuit de mer.
Voltaire,
L’Ingénu
On donne à l’équipage d’un navire des rations de biscuit, de légumes & d’eau, à proportion des vivres dont il est fourni.
La ration ordinaire sur mer, & sur-tout sur les vaisseaux portugais, est une livre & demie de biscuit,une pinte de vin & deux pintes d’eau douce par jour, & tous les mois un arrobe, ou 31 livres de viande salée, avec quelques poissons secs & des oignons.
Encyclopédie
— Vous devez aller loin, dit Georges, car la femme de charge de votre maison vous a glissé des provisions comme pour un voyage d’outre-mer : du biscuit, du chocolat.
— Un pain particulier et du chocolat, oui, monsieur, reprit Oscar, pour mon estomac beaucoup trop délicat pour digérer les ratatouilles d’auberge.
Honoré de Balzac
Un début dans la vie
Ils aiment beaucoup le biscuit de mer et quoique le nôtre fût avarié et plein de vers, ils le prenoient avec empressement en échange contre des légumes et les diverses racines dont le capitaine Cook a apporté les semences dans cette île […].
Richard A. Cruise
Journal d’une résidence de dix mois dans la Nouvelle-Zeelande
Dès la veille, Missirilli avait reçu de l’abbé Cari, son confesseur, quelques petits paquets de biscuits de mer, avec l’avis de ne pas toucher aux aliments fournis par l’État.
Stendhal
Vanina Vanini
Le 6, le vent déconcerta d’autant plus tous les esprits que les provisions allaient nous manquer absolument ; nous n’avions plus que de la viande salée avec du biscuit de mer ; nous ne laissâmes toutefois pas pénétrer la défiance dans notre âme […]. »
Pierre-Jean De Smet
Notice sur le Territoire et sur la Mission de l’Orégon, suivie de quelques Lettres des Sœurs de Sain Paul, établies à Wallamette (Orégon), Lettre 4, 25 mai 1844
J’ai vu de près d’affreux événements, je puis le dire : j’ai traversé les mers et les orages, j’ai échappé aux griffes d’un tigre dans le royaume de Java, et aux dents d’un crocodile dans la baie de Tunis; j’ai vu en face les gueules béantes des sloops flibustiers ; j’ai mangé du biscuit de mer qui m’a percé les gencives ; j’ai embrassé la fille du roi de Timor.
George Sand
Cora
Comme l’eau avait manqué d’abord, le biscuit, si bien ménagé qu’il fût, manqua à son tour ; seulement chaque nuage du ciel semblait promettre de l’eau, tandis que le biscuit manquant, c’était pour toujours.
Alors on vit ces rudes figures s’assombrir ; puis on entendit ces voix rauques proférer d’abord des plaintes, puis des menaces.
Alexandre Dumas
Bontekoe
[…] l’on oublie que les déjeuners et les dîners sont les moments les plus douloureux du bord. Toujours ou presque toujours du cochon, dur non seulement comme des tiges, bien plus encore, comme des semelles de bottes, puis du bœuf de même étoffe, des pois ou d’ignobles légumes privés de sel et d’huile et du biscuit que des dents de requin.
Jacques Arago
Curieux voyage autour du monde
Son bidon d’eau douce était vide. Sa farine de seigle était employée ou mangée. Il n’avait plus qu’un peu de biscuit. Il le cassait avec les dents, manquant d’eau pour le détremper. Peu à peu et jour à jour ses forces décroissaient.
Victor Hugo
Les Travailleurs de la mer
Je regagne Paris sur l’impériale de l’omnibus américain, obligé de s’arrêter et de longtemps stationner devant la manutention, tant le quai est encombré de camions, chargés de caisses de biscuits, d’omnibus bondés de pains jusqu’au toit et qu’on voit par les vitres fermés, de chariots de toutes sortes écrasés de tonneaux de farine, se pressant à l’entrée de la gigantesque usine du manger de nos soldats.
Edmond et Jules de Goncourt,
Journal, 27 septembre 1870
Pendant les dernières quatorze ou quinze heures, j’en avais été totalement privé [d’eau], aussi bien que de sommeil. Des provisions salées de la nature la plus irritante avaient été ma principale et même, depuis la perte de mon mouton, mon unique nourriture, à l’exception du biscuit de mer ; et encore ce dernier m’était devenu d’un usage tout à fait impossible, beaucoup trop sec et trop dur pour que ma gorge pût l’avaler, enflée et desséchée comme elle l’était.
Edgar Allan Poe
Les Aventures d’Arthur Gordon Pym
Quelques meubles délabrés garnissaient la crypte ; ici, un lit ou plutôt un grabat en vieux cœur de chêne, sur lequel étaient jetés différents objets de literie ; là, un escabeau aux pieds tors, une table fixée au mur par des tenons de fer. Sur la table se trouvaient divers ustensiles, un large broc rempli d’eau, un plat contenant un morceau de venaison froide, une grosse miche de pain, semblable à du biscuit de mer.
Jules Verne
Le Château des Carpathes
L’office particulière d’Olbinett fournit quelques viandes conservées, ce qui restait des provisions achetées pour la traversée du Macquarie. peu de chose, en somme. Il fallut se rejeter sur les vivres grossiers du bord, des biscuits de mer de qualité médiocre, et deux barriques de poissons salés. Le stewart en était tout honteux.
Ces provisions furent enfermées dans des caisses hermétiquement closes, étanches et impénétrables à l’eau de mer, puis descendues et retenues par de fortes saisines au pied du mât de fortune.
Jules Verne
Les enfants du capitaine Grant
Maud se chargea du café, qui fut délicieux. De mon côté, je fis frire du bœuf de conserve, que je saupoudrai de biscuit de mer émietté.
Jack London
Le Loup des Mers
Je tenais toujours l’Américaine, qui se laissait aller sur mon épaule endolorie ; j’entendais, contre mon oreille, ses dents, comme des pierres de meule, broyant un biscuit de ration.
Tristan Corbière
L’Américaine
Il pouvait être à peu près midi quand ils nous mirent dans la chaloupe, en nous donnant deux barils d’eau et quelques biscuits […].
Miguel de Cervantès
L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche
Nos soldats anglais étaient loin de supporter avec la même patience les privations auxquelles nous étions forcés ; j’entendis plus d’une fois maudire les portions de bœuf coriace, de riz gâté, de rhum mêlé d’eau, et de vieux biscuit que l’on nous distribuait.
Constable (poète anglais)
Souvenirs d’une campagne dans les Pyrénées, en 1814
Je suis invité chez des connaissances. Il y a là beaucoup d’étudiants et d’étudiantes. On boit du thé de guerre allemand, des feuilles de tilleul séchées, on mange du biscuit de guerre allemand, son et farine de pommes de terre.
Ernst Toller
Une jeunesse en Allemagne
La firme anglaise Huntley & Palmers fournit en biscuits la dernière expédition du capitaine Robert Falcon Scott (1868-1912) au Pôle Sud, en 1911. Des boîtes de ce ravitaillement sont conservées dans la cabane du capitaine, devenue musée, dans l'île de Ross (Antarctique).
Ration
(sur les vaisseaux français)
C'est la mesure du biscuit, de la viande, du poisson, des légumes, et du vin et boisson qu'on distribue par jour dans les vaisseaux, pour la subsistance d'un homme. Quelques-uns disent aussi “ raison ”. La ration de chaque matelot et soldat par jour est composée de dix-huit onces de biscuit, poids de marc qui est de seize onces par livre, et de trois quarts de pinte de vin mesure de Paris, abreuvés d'autant d'eau. Il est donné par semaine quatre repas de viande, trois de poisson, et sept de légumes. Les dimanches, mardis et jeudis, les rations sont de dix-neuf onces de lard cuit, pour le dîner de sept hommes. Les lundis de trois livres et demie de bœuf sans pieds ni têtes. Les mercredis, vendredis et samedis de vingt-huit onces de morue crue. Chaque jour, à souper, de vingt-huit onces de poids, gruau, fèves, fayots, ou autres légumes crus, ou quatorze onces de riz aussi cru, le tout assaisonné, savoir, la viande d'une pinte du bouillon dans lequel elle aura cuit, pour en faire du potage ; la morue d'un demi-quart de pinte d'huile d'olive et d'un quart de pinte de vinaigre pour sept hommes ; et les poids, fèves et fayots, riz ou gruau, de sel et d'une chopine d'huile d'olive pour la ration de dix hommes, versée dans la chaudière sur le bouillon qui est distribué avec les légumes. Il est donné entre les repas, à partie de l'équipage qui fait le quart, du breuvage composé d'eau et de vinaigre.
Nicolas Aubin
Dictionnaire de marine…, 1742
Un biscuit au musée de Clerkenwell, à St John's Gate (Londres)… Il fut envoyé par voie postale pendant la Grande Guerre. Son expéditeur : Henry Charles Barefield. La destination : sa famille, à Tunbridge Wells. Le biscuit est en excellent état de conservation, c'est dire sa dureté initiale, indispensable pour un biscuit de guerre…
Copyright Annie Perrier-Robert. © Tous droits réservés.
Ajouter un commentaire
Commentaires
Bonjour!
J'ai cherché des informations sur le biscuit de mer pour un roman; je suis tombé sur votre article: c'est rare, tant de soin du texte, des images, des références, des citations... Bravo, et merci, c'était - délicieux!
Mika