Gâteaux et Friandises
du Proche-Orient
et du Maghreb
Les traditions de la Perse ont laissé leurs empreintes sur la cuisine arabe. Bien des desserts sucrés étaient à base de noix et d’amandes pilées. Nombre de recettes de pâtisseries nous sont connues à travers les livres culinaires arabes parus au Moyen-Âge et les récits des voyageurs qui, en ces temps médiévaux, découvrirent, avec émerveillement, la gastronomie orientale. Comme l’explique Bernard Rosenberger : « Le biscuit qui sert de provision de voyage et un gâteau sucré, genre de gimblette, sont appelés du même nom, ka’k, mais les recettes montrent des différences de composition et de fabrication. Dans la plupart des gâteaux, il y a peu d’œufs, de la semoule de blé, beaucoup d’amandes, de noix, de pistaches, de dattes, du sucre et du miel, des épices comme la cannelle, le safran, plus rarement du nard et du camphre. On en fait une pâte assez épaisse, à laquelle on donne des formes diverses souvent géométriques, et on la cuit au four à une température modérée. On réalise toutes sortes de beignets avec une pâte molle, ou semi-liquide, de farine et d’eau principalement, qu’on fait lever ou non avant de la frire dans l’huile. […] Nombre de gâteaux et de beignets sont imbibés, une fois cuits, de miel et aspergés d’eau de rose […]. »
Un livre de cuisine andalou du XIIIe siècle (1) apporte d’intéressantes informations sur les douceurs de l’époque, notamment sur le grand usage qui est fait du miel. Le sucre est, certes, présent parmi les ingrédients, mais le miel intervient, le plus souvent en point d’orgue. Ici, additionné de poivre, il nappe des articles en pâte à pain (khubza muwarraqa) ou un gâteau de semoule, dit qatâif (2). Là, il enrobe des beignets, aux amandes (qâhiriyât, âdhân) ou de semoule (dafâir), au moment de leur service. Car amandes et semoule constituent la base de nombre de douceurs. Ainsi le sukkariyya est fait d’amandes grillées au sirop parfumé à l’eau de roses — selon Abu ‘Ali al-Bagdadi, une autre formule de cet entremets met en œuvre sucre, huile, mie de pain, farine ou semoule, et eau de roses. À partir de mie de pain et de farine, avec œufs et sucre, se confectionne le khabîsa, tandis que le khabîsa aux grenades est réalisé avec de la semoule, du jus de grenades, du safran, de l’eau de roses, des amandes et du sucre. En Syrie, Ibn Battûta découvre une pâtisserie traditionnelle, à base d’une sorte de rob, d’amandes et de pistaches, et la mentionne dans la relation de ses Voyages (De l’Afrique du Nord à La Mecque.), lorsqu’il évoque la cité de Ba’albec. Il la nomme elmolabban(ou djeld elfaras). Il semble que ce soit, en fait, la friandise en forme de briques ou de saucisses, dont on trouve trace chez Qalqashandi (v. 1400), lorsqu’il écrit « On y fait le mulabban sous diverses formes, tel qu’on n’en trouverait pas de pareil sur toute la terre ».
Une relation de voyage en Perse au début du XIXe siècle, par un Anglais du nom de John Brown, nous apprend qu’au début d’un dîner, les convives se voient apporter cruches et aiguières pour se rincer les mains. Puis « on présenta ensuite au maître, puis à tous les convives, de deux en deux, d’énormes plateaux chargés de sucreries, de biscuits, de frangipanes, de dragées et de fruits ; ce n’est là du reste qu’un hors-d’œuvre auquel on touche peu et qu’on enlève bientôt. » (3). Le repas ne commence qu’ensuite. À la même époque, des gâteaux étaient faits avec la manne (4). D’après un article de la très sérieuse Westminster Review (5), une singulière confiture « se fait, en Perse, avec une substance qui paraît ressembler beaucoup à la manne des Israélites. On la trouve, le matin, répandue sur les buissons, comme une gelée blanche, ou sur le sol en petits grains blancs. Elle a le goût des oublies faites avec du miel, et je l’ai entendu comparer à nos macarons ordinaires. On la pétrit et on en fait des gâteaux qu’on vend dans les bazars du golfe Persique. Les Persans l’appellent Taranjabin. Richardson en parle dans son dictionnaire, à l’article manne. »
« Les cafedjis encombraient la voie publique de leurs petites tables toujours garnies, et ne suffisaient plus à servir les narguilés, les kiros, le lokoum et le raki », ainsi Pierre Loti nous donne-t-il à imaginer les petits marchands dans les rues bruyantes des villes orientales, au cours du dernier quart du XIXe siècle, époque à laquelle nous vint le goût de l’Orient… et de ses friandises. Les témoignages de nombreux voyageurs attestent combien leur gourmandise a été alors sollicitée lors de séjours dans les pays arabes. Tel Gérard de Nerval à la faveur de son voyage en Orient. Dans Allouma (6), Guy de Maupassant évoque l’Algérie et l’excellence de ses gâteaux : « Je criai : “ Entrez ” et je vis apparaître Allouma portant devant elle un grand plateau chargé de friandises arabes, de croquettes sucrées, frites et sautées, de toute une pâtisserie bizarre de nomade. » Dans ses Lettres du Lundi, Alphonse Daudet se souvient, avec une certaine émotion gourmande, de l’excellent dîner turc donné par Sid’Omar à Milianah (Algérie) et au cours duquel furent servis « des biscuits au miel qu’on appelle bouchées du kadi… » De son côté Gustave Le Bon (7) écrit : « […] j’ai eu l’occasion d’assister à des dîners arabes où j’ai remarqué plusieurs plats qui m’étaient complètement inconnus et n’auraient pas déparé une table européenne, notamment diverses pâtisseries et crèmes fort bien confectionnées. Du reste, pour toutes les sucreries, confitures et produits analogues, les Arabes sont très habiles. » Enfin, dans leur relation Rabat ou les heures marocaines (1921), Jérôme et Jean Tharaud évoquent la magie du rituel du thé, duquel les pâtisseries sont indissociables.
La pâtisserie en Afrique du Nord
Au XIXe siècle, le récit du Dr. Shaw concernant son Voyage dans la Régence d’Alger nous apprend qu’« il existe dans toutes les villes et les villages des fours publics. Les Maures font ordinairement lever la pâte ; mais il n’en est pas de même des Bédouins, qui, dès que celle-ci est pétrie, en forment des gâteaux minces, qu’ils cuisent sur la braise ou dans un ta-jen (8). Telles étaient les pains, les beignets et les gâteaux sans levain dont il est si souvent mention dans l’Écriture-Sainte. » (9) Mais sans doute était-ce la saveur du miel qui, avant tout, caractérisait la fine pâtisserie des riches Arabes en Afrique du Nord, notamment lorsque ceux-ci recevaient des étrangers à leur table. « Au dessert, plusieurs assiettes de gâteaux ont été placées sur la table ; le meilleur, à mon avis, était une petite gaufre ronde couverte d’une légère couche de miel fondu. Ce miel est parfumé comme les fleurs dans lesquelles les abeilles viennent chercher leur butin ; l’oranger, les roses, la grande lavande et le jasmin, qui rendent célèbre le miel du mont Hymette, prêtent aussi leur suc à celui de l’Algérie. » C’est le souvenir gourmand que l’écrivain Louis Régis garde d’un dîner chez le kaïd à Biskra (10).
Dans tout le Maghreb, la corne de gazelle est l’une des pâtisseries les plus populaires, tout comme le baklava, le kadayif ou le makrout. Le baghrir est une crêpe qu’en Algérie, on saupoudre de sucre ou tartine de beurre fondu, voire de miel, et qui, au Maroc, où on la nomme beghrir, est servie garnie de miel et de tranches d’orange, et saupoudrée de sucre glace. Si le ghzil bat est, au Maroc, une sorte de nougat fait de pois chiches (trempés et grillés) et d’un sirop de sucre, additionné de jus de citron — il provient de la tradition culinaire juive —, il se retrouve en Tunisie, où, fait d’un sirop de sucre et de miel, graissé au beurre et travaillé en pâte, auquel sont incorporées farine de pois chiches (2/3) et farine de froment (1/3), il se présente en bâtonnets de la taille d’un doigt.
La semoule est un ingrédient récurrent. Pour preuve : les guizada, petits gâteaux dentelés à la semoule et aux œufs ; le m’habia, gâteau à base de semoule et de lait, enrichi de pistaches, de noix et de pignons ; les breyes beylicales, petits carrés de semoule additionnée de fruits secs (pistaches, noix et amandes). De nombreuses pâtisseries sont frites, telles que les homse, boulettes de pâte frites et enrobées de miel.
En Algérie, les s’baä-el-Aazoussa sont des biscuits en forme de doigts effilés. Le yubbo est un gâteau fait de farine, de miel, d’huile d’olive, de feuilles de roses et de pissenlit. Le bascoutou, un pain d’Espagne fait de farine, de jaunes d’œufs et d’eau de fleurs d’oranger. Les halte e’tabaa sont des biscuits parfumés à la vanille et au citron, les dziriettes b’l Cherbat, des petits gâteaux à la pâte d’amandes, arrosés de sirop de sucre à la fleur d’oranger dès leur sortie du four, les k’nidlat, des petits chaussons fourrés de pâte d’amandes, les zlabias (11), des beignets parfumés au curcuma, qu’on imbibe de sirop de sucre, et les mesemmen djzayer, des roulés frits au miel.
Au Maroc, le sellou s’obtient à partir de farine, d’huile d’olive, de miel et d’éclats d’amandes. Le fekkas est un gâteau sec aux éclats d’amandes et d’anis, la chebbakia, un gâteau au miel et à l’eau de fleur d’oranger, saupoudré de grains de sésame, qui se consomme généralement pendant le ramadan, et la ghoriyba, un gâteau tendre aux amandes saupoudré de sucre glace, généralement servi avec le thé à la menthe traditionnel. Dorée et croquante, la brouta est faite de petites enveloppes de feuilles de pastilla farcies aux amandes ; elle est frite dans l’huile très chaude, puis trempée dans du miel. Le cigare n’en diffère que par la forme.
En Tunisie, le hassidat bel âcel est constitué d’une bouillie-flan de semoule fine délayée dans le même volume de miel, avec, si l’on est riche, du beurre fondu, des dattes hachées et du raisin sec. On laisse prendre par refroidissement et on ne recuit pas. Le jawiya allie semoule de blé dur et pois chiches grillés avec un sirop de sucre ; le tout est parfumé à l’eau de géranium distillée et parsemé de graines de sésame ; une fois refroidi, le gâteau est découpé en tranches. Les ka’b ghezal bel homs sont des biscuits secs en forme de petits bâtonnets, de croissants, d’anneaux, etc., faits d’un mélange de farine de pois chiches grillés (3/4) et de farine de froment (1/4), de sucre et de beurre.
Sucreries et pâtisserie en Égypte
Le mot pyramide (12) serait dû à Hérodote (13), qui voyagea dans la vallée du Nil au vesiècle av. J.-C., le terme grec pyramis désignant, chez cet historien, jusqu’alors un gâteau de miel et de farine de forme géométrique, pyramidale — mais chez les mathématiciens, tel Pythagore, la forme géométrique elle-même. Nous savons peu de choses des premiers gâteaux égyptiens, sinon que dattes, figues de sycomore et miel y étaient très présents.
Au début du XIXe siècle, la confection des petits gâteaux est fort bien décrite dans la Description de l’Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition de l’armée française (14) : « Les bonbons qui font les délices des Égyptiens, ne sont guère que des espèces de pains d’épice qui se font avec de la mélasse et de la farine de millet, de pois chiches, etc., etc. Ils portent différents noms, selon les ingrédients qui les composent et la saveur qu’on leur donne. Ka’k est le nom générique : on appelle semsis celui qui est couvert de graines de sésame ; haminousis, celui dans lequel entre la farine de pois chiches ; loux, celui qui est fait avec des amandes, etc.
» On voit, dans l’atelier où on les fabrique, une bassine dans laquelle le bonbonnier a fait le mélange des matières à l’aide d’une spatule, et une autre bassine qui est sur le fourneau, et dans laquelle il a fait cuire ce mélange au point convenable : il est occupé, avec son aide, à malaxer, à détirer la pâte, que sa femme découpe ensuite avec des ciseaux sur un carré de bois à rebord ; près d’elle est un vase debout, dans lequel elle prend de la farine pour en saupoudrer les morceaux de cette pâte, afin de les empêcher d’adhérer entre eux. À côté sont les bollâs ou pots dans lesquels sont la provision de la mélasse et le vase renversé qui a servi de mesure pour la quantité de farine employée. »
Ces douceurs faisaient, en grande partie, l’objet d’une vente ambulante : « […] quelques pigeons hardis s’abattaient parmi ce tumulte et picoraient les graines tombées près d’un monceau de sacs ; des marchands ambulants criaient des dattes, du doura (maïs), des confitures, des sorbets, des fruits et des morceaux de canne à sucre ; sur une caserne flottait le drapeau rouge à croissant d’argent ; au-dessus de ma tête le ciel était tout bleu. », témoigne Maxime Du Camp (15).
Aujourd’hui, outre les traditionnels gâteaux orientaux (baklava, kadayif), les Égyptiens sont très friands du louzinag, gâteau aux amandes dont la recette remonte au Xe siècle — sa forme losangique rappelle que le mot losange vient de l’arabe loz, « amande ». La konafa, gâteau en forme d’escargot, aux amandes et aux pistaches, est aussi très populaire, tout comme l’el menena, boulettes de pâte fourrées d’amandes ou de dattes, de noisettes ou de pistaches, cuites au four.
La pâtisserie en Turquie
« Mangeons sucré et parlons sucré », ainsi va une vieille expression en usage à Istanbul. Fins gourmets par excellence, les Ottomans se dotèrent, dès le XVe siècle, d’une cuisine aussi variée que raffinée. Les cuisines du palais de Topkapi s’imposèrent très tôt pour l’inventivité de leurs nombreux maîtres-queux, et les fastes de la table du sultan étaient réputés dans tout l’Empire. Pâtisserie et confiserie ne cessèrent de se perfectionner. Au XVIIe siècle, le sofa (« table ») du souverain montrait un luxe exceptionnel, qui fascinait les convives occidentaux. Après une longue succession de mets plus délicats les uns que les autres, « il vient ensuite une espèce d’entremets qui consiste en blanc-manger fait de blanc de chapon, du sucre, du lait, de la farine de riz, de l’ambre et du musc. L’on en fait un autre de dattes bouillies avec du lait, de l’amidon, du sucre, du musc et de l’ambre. Et un troisième composé d’eau de cerises, d’amidon, du sucre, d’eau rose, bouillis ensemble, passés dans un tamis, et mêlés de musc et d’ambre. Une marmelade de toutes sortes de fruits cuits au sucre, au musc et à l’ambre. Une espèce de gâteau feuilleté avec des amandes ; des compotes de toutes sortes de fruits : des pommes, des poires frites dans le sucre, l’eau rose, l’ambre et le musc, vidées de leurs pépins et remplies d’amandes pelées cuites au sucre. », nous apprend Pétis de la Croix, secrétaire à l’ambassade de France, dans sa relation d’un repas au palais impérial (16). La compote de fruits (hosaf) est, de fait, une vieille tradition ; au XVIIIe siècle, le sultan la dégustait avec une petite cuillère en or émaillé et incrustée de perles, réservée à cet usage.
Buying Sweetmeats in Constantinople, gravure, 1891.
Au XIXe siècle, la pâtisserie turque séduisit les Occidentaux, comme en témoigne Gustave Flaubert : « Nous étions cinq autour d’une table grande comme un guéridon ; on buvait tous dans le même verre et l’on mangeait avec ses doigts. Il y eut bien de servis au moins trente plats. On mange cinq ou six bouchées de chacun et on vous en sert un autre. Tous arrivent l’un après l’autre. Un négrillon en jaquette bariolée chassait les mouches, d’autres nous versaient de l’eau, soit pour boire ou nous laver les mains. C’était dans une grande chambre en bois, ouverte de tous côtés, et dominant la mer qui battait au pied. Quant à la cuisine turque, la pâtisserie (beignets, gâteaux, plats sucrés) est excellente. Le reste m’a paru exécrable, mais ne m’a pas fait mal au ventre, ce qui m’a étonné. » (17) Certains recueils culinaires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe portent la trace de cet engouement pour l’Orient. Tel est le cas du « manuel-guide » d’Émile Dumont (18), qui, parmi d’autres recettes, livre celle des « cheveux de la Vierge » (tel slelvassi) — du sucre tiré façonné en couronne auquel est incorporé un roux de farine et qu’on continue de tirer jusqu’à ce qu’il « se mette en fils » — et celle d’une sorte de riz au lait (mahallebi).
Au sein de cette pâtisserie turque, les desserts de circonstance traditionnels sont nombreux. L’ashure célèbre le dixième jour du mois lunaire de muharram, premier mois de l’année hégirienne. Composé de céréales, de sucre, de fruits secs (noisettes, amandes, raisins secs, pistaches, etc.), de légumes secs (pois chiches, haricots blancs, etc.), d’eau de roses, etc., « il évoque la fin de la période de deuil annuel commémorant le massacre (19) d’Husseyin, fils du calife Ali, gendre du Prophète Mohammad et par la suite fondateur du chiisme contre le sunnisme orthodoxe au VIIe siècle. » (20) Bien que la majeure partie des Turcs soit sunnite, l’usage est aussi observé chez eux. Cet entremets, qui associe de nombreux ingrédients (21), est préparé en grande quantité, car on en offre aux membres de la famille, aux amis et aux pauvres. Autrefois, il était cuit dans de grands chaudrons de cuivre et distribué dans de longs récipients en porcelaine (ashurelik), pourvus d’un couvercle, qui lui étaient réservés. De son côté, l’helva est de tous les moments importants de la vie familiale, joyeux ou tristes (naissance, diplôme, mort, etc.) ; il est aussi un gâteau d’offrande, dans l’esprit des Anciens. Quant au dessert du ramazan, « la tradition veut que ce soit le güllaç aux amandes ou aux noix, fait de disques de farine de riz et de kaymak, crème cuite, arrosé d’eau de rose. Mais, à présent, des baklava ou kadayif, ou sütlaç, remplacent souvent le güllaç, sans oublier des fruits juteux, surtout melons, pastèques, pommes ou oranges. » (22) Cher aux Istanbuliotes en cette période de jeûne, le filin sütlaç (« sütlaç au four ») est un gâteau de riz, parfumé à la vanille et au zeste de citron. Lors de la fête de Seker bayrami, qui suit le ramazan et dure trois jours, les sucreries (baklava, lokum, chocolats, etc.) jouent un rôle important.
Amadeo Preziosi, Figures turques à un étal de bonbons, 1851, crayon et aquarelle, coll. part.
Istanbul excelle encore dans de nombreuses pâtisseries : revani ; yogurt tatlisi, gâteau de yaourt moins riche que le revani ; kayisi tatlisi, apprêt à base d’abricots secs, servi saupoudré de sésame grillé ; entremets de fruits secs (figue, abricot) ou de coings, servis accompagnés de kaymak ; etc. Mais, à l’échelle du pays, lebaklava demeure le gâteau national turc. Le kadayif est également très populaire. Le muhallebi est depuis longtemps apprécié des Turcs. Probablement hérité de l’ancien börek, le chekerpâre est une beignet de semoule et d’amandes trempé dans du sirop après friture. Le kadm gobegi (« nombril de femme ») est un entremets très sucré et aromatisé, constitué d’un « farinage à l’huile » (23) et cuit au four. Car les noms évocateurs ne manquent pas : « nid de rossignol », « lèvres de belles », etc. Par ailleurs, en Turquie, la confiture de roses (chul-retchelé) fait l’objet d’une forte consommation, au petit déjeuner ou au goûter. La meilleure est faite dans la région d’Isparta, au sud d’Ankara. Quant aux principales sucreries turques, ce sont le lokoum et l’helva. La pâte d’amandes (aci badem ezmesi) d’Istanbul est réputée.
© A. Perrier-Robert
Ibn Battûta, « Voyages »,
III, Inde, Extrême-Orient, Espagne & Soudan.
Le souverain [sultan de l’Inde] m’interrogea au sujet d’une espèce de ces pâtisseries que je lui avais expédiées la première fois. Je lui répondis : “ Ô Maître du monde, ces pâtes douces sont de plusieurs sortes, et je ne sais pas de quelle variété Votre Majesté recherche le nom. ” Il dit : “ Apportez ces athbâks ”, plats, assiettes, c’est le nom qu’on donne dans ce pays-là à ce que nous appelons, nous, thaïfoûrs, assiette creuse, plat, gamelle. On les mit devant lui, et on les découvrit ; le sultan dit : “ Je te demandais le nom de ceci ”, et il prit dans la main le plat qui contenait cette pâtisserie. Je lui répondis : “ On l’appelle la pâtisserie ronde ou orbiculaire. ” Il en saisit une autre sorte, et dit : “ Quel est le nom de celle-ci ? ” Je repris : “ On la nomme les petites bouchées du juge. ” Il y avait en présence du souverain un négociant qui est un des cheïkhs de Bagdad, connu sous le nom d’Assâmarry, et soi-disant de la postérité d’Abbâs, dont le Dieu très haut soit satisfait ; il est très riche, et le sultan l’appelle “mon père”. Cet homme éprouva un sentiment d’envie à mon égard, il voulut me faire honte, et dit : “ Ces pâtisseries ne sont point les petites bouchées du juge, mais les voici. ” Il saisit un morceau de celles nommées pénis du cheval. Il y avait, vis-à-vis de ce cheïkh, le roi des favoris, Nâssir eddîn alcâfy alharaouy, qui le plaisantait souvent devant le souverain, et qui s’écria : “ Ô khodjah [négociant], tu mens, et le juge dit vrai. ” Le sultan dit : “ Comment cela ? ” L’autre reprit : “ Ô Maître du monde, celui-ci est le juge, et ces pâtisseries sont ses petites bouchées, car c’est lui qui les a apportées. ” Le monarque sourit, et répliqua : “ Tu as raison. ” »
Après le repas, nous mangeâmes les pâtes douces, puis nous bûmes la bière, prîmes le bétel, et nous retirâmes.
Assis les jambes croisées sur des tapis, des marchands turcs étaient groupés autour des feux qui servaient aux esclaves à préparer le pilau ; d’autres voyageurs fumaient leur pipe à la porte du kan, mâchaient de l’opium, écoutaient des histoires. On brûlait le calé dans les poêlons ; des vivandières allaient de feu en feu, proposant des gâteaux de blé grué, des fruits et de la volaille ; des chanteurs amusaient la foule ; des imans faisaient des ablutions, se prosternaient, se relevaient, invoquaient le Prophète ; des chameliers dormaient étendus sur la terre. Le sol était jonché de ballots, de sacs de coton, de couffes de riz.
François-René de Chateaubriand
Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris
Confiseur à Constantinople
Mon ami me fit entrer dans une boutique de confiseur, qui est comme le Boissier de Constantinople, pour m’initier aux douceurs de la gourmandise turque, plus raffinée qu’on ne le pense à Paris.
Cette boutique mérite une description toute particulière : les volets, relevés en éventail, comme des sabords de navire, formaient une espèce d’auvent sculpté, quadrillé et peint en jaune et bleu, au-dessus de grands vases de verre remplis de dragées roses et blanches, de stalactites de rahat-lokoum, espèce de pâte transparente faite avec de la fleur de farine et du sucre colorée diversement, de pots de conserves de roses et de bocaux de pistaches.
Nous entrâmes dans l’établissement, où trois personnes auraient eu de la peine à se remuer, et qui est pourtant une des plus vastes de Constantinople, et le maître, gros Turc à teint basané, à barbe noire, à physionomie bonassement féroce, nous fit servir d’un air aimablement terrible du rahat-lokoum rose et blanc, et toutes sortes de sucreries exotiques très parfumées et très exquises, quoique un peu trop mielleuses pour un palais parisien ; — une tasse d’excellent moka vint à propos relever, par son amertume salutaire, ces douceurs écœurantes, dont j’avais abusé par amour pour la couleur locale. Au fond de la boutique, de jeunes garçons, les reins serrés par un tablier d’indienne de Rouen, un chiffon autour de la tête et les bras nus, agitaient sur un feu clair les bassines de cuivre dans lesquelles les amandes et les pistaches s’habillaient de chemises de sucre, ou roulaient sur de la poudre blanche des boudins de rahat-lokoum, ne faisant nul mystère de leurs préparations.
Théophile Gauthier
Constantinople
Turkish Children Buying Sweetmeats.
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