Crêtes et rognons de coq
Jules Gouffé, Livre de Cuisine, 1867, hâtelets de truffe et crête de coq.
Les testicules de chapon constituaient un mets délicat et rare. Comme Apicius, Héliogabale en fut, semble-t-il, très friand. « Les testicules de tous les quadrupèdes sont difficiles à digérer et imprégnés d'humeurs mauvaises ; mais, quand ils sont bien digérés, ils nourrissent bien ; il n'y a que les testicules des coqs qui soient agréables et excellents sous tous les rapports, surtout ceux des coqs engraissés. », écrit le médecin grec Oribase (1). Galien porta grand intérêt aux testicules de coqs, surtout à « ceux qui ont été préparés par macération dans du petit lait [ou dans du lait au miel] : ils sont en effet du suc excellent, nourrissent bien et se digèrent facilement, mais ils n’arrêtent ni ne favorisent l’excrétion. » (Jean Bruyérin-Champier, 1560.) À noter que la dénomination « rognons » est appliquée abusivement aux testicules de coq.
Les Romains se régalaient des crêtes de coqs. Au Moyen-Âge, il existait, à Paris, une profession typiquement gauloise : fabricant de crêtes de coq. Les explications sur le choix de cet animal symbolique que nous voyons au sommet de toutes nos églises villageoises sont multiples, allant du domaine théologique en faisant référence au fait que son chant annonce le lever du soleil lui-même symbole de la Résurrection du Christ en passant par le lien avec le nom latin gallina de l'espèce, jusqu'à des considérations plus grivoises. Il n'en demeure pas moins que ce morceau était si apprécié des gourmets que les gargotiers proposaient plus de crêtes farcies qu'il n'y avait de coqs abattus... Le subterfuge était le fait des fabricants de crêtes de coq qui utilisaient en réalité le palais des moutons et des bovins qu'ils découpaient, faisaient blanchir et mettaient à macérer deux jours avant de donner aux morceaux l'apparence de crêtes.
Dotée, dit-on, d’un solide appétit et sujette aux indigestions, la reine Catherine de Médicis était si friande de crêtes et de rognons de coq qu’elle « cuida crever », révèle L’Estoile (2), pour en avoir tant absorbé à l’occasion du mariage de mademoiselle de Martigues, en 1575. Des alimelles, des crêtes et des « rognons de coq à la Praline » figurent parmi les « entremets chauds pour relever les rôts et les salades » du quatrième service dans un menu d’hiver des Soupers à la Cour de Menon (3).
Au XVIIe siècle, des mini-abats entrent, en outre, dans les béatilles (4). Les crêtes et rognons de coq sont les plus recherchés. La haute cuisine les a littéralement anoblis; ils deviendront incontournables dans la sauce financière, une des plus somptueuses créations du 19e siècle. Les crêtes et rognons de coq intervenaient déjà dans mini-ragoûts romains (cf. minutal) et ont été remis à la mode par Platine. Selon Jean-François Revel, ces mini-abats survivent dans la cuisine toscane : ce sont les rigaglie alla salvia, les abattis poêlés à la sauge.
(1) Collection médicale, 34, IVe siècle apr. J.-C.
(2) Journal de Henri iii, 19 juin 1575.
(3) « Table de vingt-cinq à trente couverts, servie à vingt-trois en gras. »
(4) C’est sous le nom de béatilles qu’au XVII e siècle, on désignait « creste, roignons et aisles de pigeonneaux » (La Varenne, Le Cuisinier françois, 1651). On les apprêtait en omelette ou « en ragoust », servis en entremets ( La Varenne, Le Cuisinier françois, 1651, édition de 1653), voire en tourte
Au début du XIX e siècle, les crêtes se cuisaient au bouillon (5), étaient dites « au restaurant » (6), s’apprêtaient au fenouil (7). Avant de les cuisiner, il fallait les parer, comme l’explique Louis-Eustache Audot (8) : coupez « les 2 extrémités, ce qui donne la facilité de dégorger le sang ; mettez-les dans un petit torchon avec demi-poignée de gros sel de cuisine, plongez le torchon une minute dans l’eau bouillante et frottez-le avec les crêtes comme si vous vouliez savonner. Ce frottement et le gros sel enlèvent la petite peau qui couvre les crêtes ; mettez-les à mesure dans l’eau fraîche dégorger au moins une demi-journée. » Ces crêtes de coqs étaient souvent associées à des rognons de coqs et des ris d’agneau ou des ris de veau. Au XIXe siècle, l’apprêt dit « en financière » s’imposait sur les tables bourgeoises raffinées. Alexandre Dumas en livre la recette (9) : « Quand vos crêtes auront été échaudées et cuites dans un blanc ainsi que les rognons, mettez dans une casserole la quantité convenable de velouté réduit si vous voulez votre ragoût au blanc, et d’espagnole réduite si vous le voulez au roux, en y ajoutant un peu de consommé au cas où votre sauce se trouverait trop liée ; faites mijoter vos crêtes un quart d’heure, joignez-y, un peu avant de servir vos rognons, quelques champignons tournés que vous aurez fait cuire, des fonds d’artichauts et des truffes selon votre volonté ; si votre ragoût est au blanc, liez-le comme il est indiqué à l’article Ragoût de ris de veau, et s’il est au roux, suivez le même procédé que celui énoncé au même article. » La liaison à laquelle Dumas renvoie se fait avec deux jaunes d’œufs ; pour affiner la sauce, il lui incorpore ensuite un peu de beurre et un filet de verjus (ou un jus de citron).
(5) Souper du roi à la Muette, samedi 18 février 1749. Cité par Antonin Carême, Le Maître d’Hôtel Français…, 1822.
(6) Souper du roi à la Muette, samedi 17 janvier 1750. Cité par Antonin Carême, Le Maître d’Hôtel Français…, 1822.
(7) Souper du dimanche 18 janvier 1750. Cité par Antonin Carême, Le Maître d’Hôtel Français…, 1822.
(8) La Cuisinière de la campagne et de la ville, édition de 1901.
(9) Grand Dictionnaire de Cuisine, 1873.
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