Les moments gourmands
Au commencement de notre goûter, nous eûmes la surprise et la contrariété de voir tomber comme une bombe au milieu de la grande écurie, notre tante d’Elbœuf, qui était une grosse personne d’environ soixante ans, et qui venait pour se divertir avec nous, disait-elle. Elle ne voulut manger autre chose que des rôties au vin d’Espagne, une jatte de caille-bottes au jasmin, trois ou quatre assiettes de compote, des massepains, des macarons, des jubas, des darioles, et pour couronner son œuvre de collation, cinq ou six grosses poires.
Souvenirs de madame de Créquy
Sous la vive clarté de la lampe centrale et de deux candélabres à dix branches, la salle à manger s’étendait, avec sa longue table, servie et parée comme pour un grand dîner. Il y avait cinquante couverts. Au milieu et aux deux bouts, dans des corbeilles basses, des buissons de fleurs s’épanouissaient, séparés par de hauts compotiers, sur lesquels s’entassaient des “ surprises ” dont les papiers dorés et peinturlurés luisaient. Puis, c’étaient des gâteaux montés, des pyramides de fruits glacés, des empilements de sandwichs, et, plus bas, toute une symétrie de nombreuses assiettes pleines de sucreries et de pâtisseries ; les babas, les choux à la crème, les brioches alternaient avec les biscuits secs, les croquignoles, des petits fours aux amandes. Des gelées tremblaient dans des vases de cristal. Des crèmes emplissaient des jattes de porcelaine. Et les bouteilles de vin de Champagne, hautes comme la main, faites à la taille des convives, allumaient autour de la table l’éclair de leurs casques d’argent. On eût dit un de ces goûters gigantesques comme les enfants doivent en imaginer en rêve, un goûter servi avec la gravité d’un dîner de grandes personnes, l’évocation féerique de la table des parents, sur laquelle on aurait renversé la corne d’abondance des pâtissiers et des marchands de joujoux.
Émile Zola
Une page d’amour
Le goûter
On a dressé la table ronde
Sous la fraîcheur du cerisier.
Le miel fait les tartines blondes,
Un peu de ciel pleut dans le thé.
On oublie de chasser les guêpes
Tant on a le coeur généreux.
Les petits pains ont l'air de cèpes
Égarés sur la nappe bleue.
Dans l'or fondant des primevères,
Le vent joue avec un chevreau ;
Et le jour passe sous les saules,
Grave et lent comme une fermière
Qui porterait, sur son épaule,
Sa cruche pleine de lumière.
Maurice Carême
[…] chaque après-midi il goûtait avec les sœurs Moraes, table surchargée de friandises, les meilleures du monde— au cajou, à la mangue, à la jaque, à la goyave, à la groseille, à la pistache, quand on cite de mémoire on commet fatalement des injustices, on oublie dans l’énumération des délices essentielles, le confit d’ananas, par exemple, ou d’orange amère, ah ! mon Dieu, celui de bananes en rondelles ! — toutes les variations du maïs, des épis cuits en papillotes ou en tourtes, sans parler de la canjica et du xerêm, obligatoires en juin, l’umbuzada, la jenipapada, les tranches de veau au lait de coco, le fromage blanc, les jus de caja et de pitanga, les liqueurs de fruits. Un modeste goûter, disaient les sœurs ; un banquet de fées, se pâmait Daniel avec gourmandise.
Jorge Amado
Tereza Batista
Les gaufres
Sur les bûches qui flambent dans la cheminée, le gaufrier vénérable, graissé de lard fin, repose. Puis, comme la gueule d’un monstre, il s’ouvre pour recevoir la pâte légère, embaumant l’anis et la fleur d’oranger. Aussitôt, sur la flamme claire, on tourne et on retourne, au milieu des vapeurs odorantes, les fers retentissants.
La gaufre cuit, elle est cuite. Le gaufrier écarte ses lèvres de fer imprégnées de parfums, et la gaufre apparaît comme une plaque d’or ; et les enfants, qu’une curiosité naïve attire vers la cheminée, contemplent, étonnés, les dessins bizarres, animal fantastique ou plante merveilleuse, que le moule imprime sur les gaufres fumantes.
Parfois, c’est un mot, un conseil, une devise gravée dans la pâte légère : “ Espérance, Foi, Patrie. ”
Détachées du moule avec la pointe d’un couteau, les gaufres s’entassent dans une corbeille tapissée d’une serviette blanche. Elles sont plates et minces, rondes ou carrées ; mais parfois on les enroule vivement autour d’un moule en bois et, alors, elles forment un gracieux cornet que, par un raffinement exquis de gourmandise, on emplit d’une crème onctueuse embaumant la vanille.
Fulbert Dumonteil
La France Gourmande
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