Un appétit excentrique…

 

« Un autre signe d'abaissement était le développement de la gastronomie. Jamais, à aucune époque, et dans aucun temps, elle ne joua un pareil rôle. », observe Maurice Magre à propos de la Rome à l’époque de Jules César. « Beaucoup de personnages riches se consacraient exclusivement à la nourriture. Un certain nombre de ces merveilleuses routes dont on voit encore les traces ne furent construites que pour permettre à certains aliments d'arriver plus vite aux gastronomes romains. Les festins étaient les actes principaux de la vie. » (1) En effet, les Romains fortunés furent de robustes mangeurs, peut-être gourmets, mais sans conteste…… d’une surhumaine capacité. « Les noms de Lucullus, d’Apicius, de Sempronius, Rufus... qui le premier fit servir sur sa table

la cigogne au pied rouge et le turbot marin,

brillent comme des Dieux parmi les classiques de la bouche. », écrit Laurent Tailhade (2). Compte tenu des comptes-rendus de festins qui nous sont parvenus, on tend à les imaginer hideux, obèses, la face bourgeonnée… C’était effectivement le cas. Le physique de ces viveurs raffinés portait la marque de leurs bombances. « Cela faisait, écrit Maurice Magre, des hommes au gros ventre avec des visages rendus livides par la répétition des vomissements, et des crânes précocement dénudés. Un sénateur maigre comme Cassius, qui ne portait pas l'uniforme de l'embonpoint, était tellement exceptionnel que Jules César s'en méfiait, voyant en lui un homme qui devait trop penser. »

(1)  La clef des choses cachées, ??. Des vomitifs permettaient aux Romains d’étendre les limites de la goinfrerie.

(2) Petit bréviaire de la gourmandise, Albert Meissen Éditeur, 1914.

                  En proie à cette frénésie, plus gloutonne que gastronomique, les riches Romains n’hésitaient pas à explorer terres et mers, en quête de nouveaux aliments, à organiser de lointaines et périlleuses expéditions, uniquement pour satisfaire le luxe de leur table. Le plus bel exemple est celui de l’empereur Vitellius qui envoya les flottes romaines quérir, en Espagne et jusque dans les domaines des Parthes, des foies de maquereau, des cervelles de faisan et de paon, des langues de flamant et des laitances de murène, pour un plat gigantesque, resté dans les mémoires. Pareilles excentricités ne manquèrent pas de choquer en leur temps. Pline l’Ancien les stigmatisa : « C'était du jardin que le peuple tirait ses provisions ; et combien cette frugalité épargnait de maux ! Mais sans doute il vaut mieux se plonger dans les abîmes de la mer, aller choisir les huîtres aux risques d'un naufrage, chercher au delà du Phase des oiseaux que protégeait la terreur des fables, et qui n'en paraissent que plus précieux ; en poursuivre d'autres jusqu'en Numidie et dans les sépulcres de l'Éthiopie ! Il vaut mieux combattre avec les bêtes sauvages et se faire manger, pour prendre ce qu'un autre mangera ! Et, en vérité, combien les productions des jardins seraient à bon marché ! qu'elles satisferaient facilement nos plaisirs et nos besoins ! mais ici l'on trouve les mêmes sujets d'indignation que partout ailleurs. » (3)

             Quant à Sénèque, il explique ce luxe excessif par l’envie de faire sensation, de faire parler de soi : « Les dissipateurs, dit-il (4), visent à ce que la vie qu’ils mènent forme continuellement l’objet des conversations. Ils croient. avoir perdu leur peine si on ne parle pas d’eux. Dès qu’une de leurs actions échappe à la renommée, ils sont mécontents. Il en est beaucoup qui mangent leur fortune en faisant grande chère, beaucoup qui entretiennent des maîtresses à grands frais. Pour se faire un nom parmi eux, il ne suffit pas de mener une vie luxueuse, il faut s’arranger de manière à frapper l’attention. La dissipation vulgaire ne fait pas naître de cancans dans une ville aussi affairée. » Rien n’était trop cher pour se procurer un ingrédient exceptionnel (un poisson, par exemple) et pour s’attirer, de par cette acquisition, la considération de ses semblables en devançant les plus célèbres gourmets (tel Apicius) ou, même, l’empereur en personne.

(3) Histoire Naturelle, livre XIX, XIX, 3.

(4)  Lettres, 122, 14.



Dans sa Vie de Sébaldus Nothanker (1799), Nicolaï « met en scène un comte, grand gourmet et teutomane, lequel, dans son antipathie native pour la cuisine française, s’attache à composer ses menus, d’après son propre goût, uniquement de ce que les pays allemands fournissaient alors de meilleur en fait de comestibles. Ce gastronome recevait tous les jours, par la poste, de grosses murènes de Poméranie, de la longueur d’un pied et demi, des tétragonoptères de l’île d’Héla et des anguilles de sable de Berlin. Il recommande de faire venir les faisans de la Bohême en février, les pâtés froids de Hanau, le fromage de cochon épicé (Schwartenmagen) de Francfort sur le Mein et les grives du Harz en mars. De plus il lui faut des écrevisses de Sonnenbourg, des jambons de Westphalie cuits dans du champagne, du caviar de Kœnigsberg, des melons d’Astrakhan et des ananas. Or tout le monde sait combien l’Allemagne était pauvre alors, comparativement à l’Angleterre et à la France, et quelles entraves arrêtaient encore son développement commercial, à la même époque. » (5)

(5)  L. Friedlænder, Mœurs romaines - du règne d’Auguste à la fin des Antonins.


Cambacérès

 

« Comment voulez-vous que l'on se fasse des amis si l'on ne peut donner des mets recherchés ? », éclara Camacérès.

La somme des frais d’achat, de préparation et de transport d’une truite énorme avec sa sauce, envoyée par la ville de Genève à l’archichancelier Cambacérès, n’aurait pas été évaluée, par la Cour des comptes, à moins de 6.000 fr.


L'empereur romain Claude

 

Sa voracité égale celle de ses prédécesseurs. Suétone (6) l’illustre par une anecdote : « Il était toujours prêt à manger et à boire, à quelque heure et dans quelque lieu que ce fût. Un jour qu’il jugeait dans le Forum d’Auguste, il fut frappé de l’odeur d’un festin que l’on apprêtait non loin de là pour les prêtres Saliens (7), dans le temple de Mars. Il quitta aussitôt son tribunal, monta chez ces prêtres, et se mit à table avec eux. Il ne sortait presque jamais d’un repas que gonflé de nourriture et de boisson ; il se couchait ensuite sur le dos, la bouche ouverte, et pendant son sommeil on y introduisait une plume, pour lui dégager l’estomac.

(6)  Vies des douze Césars, « Claude », XXXIII.

(7) Les festins des Saliens étaient réputés pour leur faste.


Alexandre Balthazar Laurent

Grimod de La Reynière (1758-1837)

 

Cet illustre gastronome fut surnommé « Père de la Table » par Sainte-Beuve. Son grand-père Antoine-Gaspard Grimod de la Reynière (1687-1754), qui fut fermier général de 1751 à 1756, était réputé pour avoir la meilleure table de Paris. Sa gourmandise lui valut la goutte dont il mourut, ce qui fit dire à son petit-fils : « Un de mes ancêtres est mort au champ d'honneur étouffé par un pâté de foie gras ! »


Héliogabale

 

« Il disait lui-même qu’en tant qu’homme privé son modèle était Apicius, mais que comme empereur il imitait Néron, Othon et Vitellius. »[i]

 

[i] « Cum ipse privatus diceret se Apicium, imperator vero Othonem et Vitellium imitari », Vita Elagabali, ch. xviii.

Antonin Artaud analyse ainsi son comportement : « Qu’il mette un jour à faire un repas, cela veut dire qu’il introduit l’espace dans sa digestion alimentaire et qu’un repas commencé à l’aurore finit au couchant, après avoir passé par les quatre points cardinaux.

» Car d’heure en heure, de plat en plat, de maison en maison, et d’orientation en orientation, Héliogabale se déplace. Et la fin du repas indique qu’il a bouclé la boucle, qu’il a fermé le cercle dans l’espace, et, dans ce cercle, il a fait tenir les deux pôles de sa digestion.

» Héliogabale a poussé au paroxysme la recherche de l’art, la recherche du rite et de la poésie au milieu de la plus absurde magnificence. »[i]

 

[i] Héliogabale ou l’Anarchiste couronné, Éditions Denoël et Steele, 1934. Rééd. Éditions Gallimard, collection L’Imaginaire, 1979.


Louis XIV

 


Louis XVI

 


Louis XVIII

 


Lucullus

 


Marie-Louise d’Orléans

 


Nasidienus

 


Rufus

 


Sempronius

 


L'empereur romain Aulus Vitellius

 


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