SECRETS GOURMANDS…
On est gourmand comme on est artiste, comme on est instruit, comme on est poète. Le goût, [..] c'est un organe délicat, perfectible et respectable comme l'œil et l'oreille.
Manquer de goût, […] c'est être privé d'un sens essentiel, d'une partie de la supériorité humaine ; […] c'est avoir la bouche bête, en un mot, comme on a l'esprit bête.
Guy de Maupassant
Le Rosier de madame Husson, 1887
Si j'avais eu assez de temps, j'aurais fait un choix raisonné de poésies gastronomiques depuis les Grecs et les Latins jusqu'à nos jours ; et je l'aurais divisé par époques historiques, pour montrer l'alliance intime qui a toujours existé entre l'art de bien dire et l'art de bien manger. Ce que je n'ai pas fait, un autre le fera. Nous verrons comment la table a toujours donné le ton à la lyre ; et on aura une preuve additionnelle de l'influence du physique sur le moral.
Brillat-Savarin
Le bouillonnement de la force créatrice continue d'échapper à toute analyse, et saura-t-on jamais pénétrer ses arcanes ? Il s'alimente aux sensations vives d'attrait ou de refus qu'éprouve l'artiste dans le contexte social, politique et économique qui lui a été échu. Dans le secret de son alchimie, il les triture, les pétrit, les façonne, au gré d'un imaginaire plus ou moins débridé. Celui-ci joue sur une gamme infinie de notes, d'où le rationnel est exclus.
Au sein de cette matière, que l'on a coutume d'appeler «inspiration», la table occupe une place non négligeable. La nourriture est essentielle à la vie, la gastronomie à ses plaisirs. Et rares sont les poètes indifférents à cette source de jouissance, à la fois sensuelle et intellectuelle. Les textes sont là, qui, sous l'angle de la fiction ou d'un réel transgressé, attestent la dilection de leurs auteurs pour les subtilités de l'art culinaire. C'est ici une simple évocation, et là un véritable discours. Par delà la saveur des mets, les personnalités se révèlent.
L'épicurisme ainsi exprimé a des vertus métamorphiques. Tel littérateur devient gastronome, tel gastronome prend rang d'écrivain. Tel poète puise ses rimes dans le fumet d'un délicat repas, tel maître-queux se découvre un réel talent de plume, tel gastronome du nom d'Alexandre Dumas commet un Grand Dictionnaire de la Cuisine, qui, en son temps, fait référence. Nicolas Boileau ordonne des vers satiriques autour d'un Repas ridicule. Antonin Carême décline, dans ses ouvrages, les élégances des mets princiers. Grimod de la Reynière compose son célèbre Manuel des Amphitryons… Les exemples foisonnent !
Il ne suffirait pas d'un blog pour en faire état. Mon propos ne vise donc pas à l'exhaustivité ; celle-ci est impossible, et s'avèrerait ennuyeuse. Il a fallu opérer un choix. Cette sélection est, d'évidence, arbitraire. Elle correspond à une sensibilité et à un mode de réflexion qui n'ont pas la prétention d'être universels. J'ai seulement tenté de donner un aperçu des rapports entretenus, au fil des siècles, par l'écriture et l'art de la table vu sous l’angle de l’insolite, voire du mystère. Les commentaires sont superflus, les textes parlent d'eux-mêmes. De leur temps, des modes et des usages en vigueur, des goûts des poètes …
A cette anthologie, je joins un certain nombre de textes, relatifs à la gastronomie, que j'ai écrits, ici et là, et qui sommeillaient depuis plusieurs années. Peut-être intéresseront-ils certains visiteurs…
Annie Perrier-Robert
Nombre de chromos et gravures qui illustrent ces pages proviennent de ma collection. Malheureusement, en dépit d'une haute définition, la reproduction des chromos par scan ne parvient pas à rendre la qualité de ces documents obtenus par la chromolithographie à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe.
La nouveauté a cela de remarquable qu'elle accroît la sensation
de plaisir, ne l'ignorons point. C'est pour cette raison
que l'on confectionna toutes sortes de mets compliqués,
des gâteaux toujours plus onctueux, des variétés de parfums exquis
et d'encens, des vêtements à foison, des draperies
aux motifs innombrables, des coupes et des ustensiles
en tous genres. Toutes ces choses contribuent au plaisir,
du moment que la matière qui en est à l'origine,
fait l'objet de l'admiration humaine.
Athénée cite ainsi, dans Les Deipnosophistes
(« Du luxe »., livre XII), un extrait de la Vie d'Archytas où Aristoxènos évoque Polyarchos et sa philosophie concernant les plaisirs des sens.